Elles étaient soixante-dix-huit scientifiques à lever l’ancre pour l’Antarctique le 19 février dernier, avec un objectif commun : donner davantage de visibilité à la place des femmes dans les sciences. La biologiste et chercheuse en écologie comportementale Gaia Dell’Ariccia faisait partie de l’expédition. Nous l’avons rencontrée. 

Crédit photo : Gaia Dell’Ariccia par Talia Melcer

« Le retour à la réalité est assez difficile ! » s’amuse Gaia Dell’Ariccia, biologiste et chercheuse en écologie comportementale, de retour de trois semaines intenses de formation en Antarctique. Comme soixante-dix-sept autres scientifiques, elle a rejoint un « séminaire-expédition » proposé par Homeward Bound, une initiative internationale qui vise à promouvoir la place des femmes dans le domaine scientifique et leur leadership dans l’orientation des politiques environnementales.

Pour sa fondatrice Fabian Dattner, Homeward Bound entend créer un réseau mondial de femmes « connecté d’une façon jamais vue auparavant » : « Le projet fonctionne selon trois principes clés : utiliser son propre jugement en toutes circonstances ; en cas de doute, faire appel à deux ou trois personnes qui peuvent aider ; et, en cas d’erreur, la célébrer et la partager afin que toutes puissent en tirer des leçons. C’est le processus qui permettra à un réseau mondial d’esprits brillants de contribuer au changement ».

Destination Antarctique – Crédit : Gaia Dell’Ariccia

Une première édition de l’expédition avait eu lieu en décembre 2016, réunissant 76 femmes pour suivre des formations en leadership (capacité à diriger) et partager les fruits de leurs recherches respectives. Après le passage obligé du recrutement (CV, questionnaire et vidéo de 2 minutes), Gaia a été sélectionnée pour représenter la France lors de la deuxième édition, avec soixante-dix-sept autres candidates venant des quatre coins du monde : « Je connaissais l’une des scientifiques qui a participé à la 1ere édition. Son récit m’a vraiment donné envie de faire partie de l’aventure. J’ai postulé dès l’ouverture des candidatures pour la 2e expédition, sans hésiter ».

Pour pouvoir embarquer, elle a dû rechercher des partenaires afin de financer le voyage (plus de 17 000 €). Homeward Bound prenant en charge 40% des coûts de la formation et de l’expédition, chaque participante se devait de financer les 60% restant. « Je ne regrette pas un seul centime. Cette recherche faisait en quelque sorte partie de la formation. Il fallait apprendre à se mettre en avant et parler de soi pour faire adhérer à son projet et trouver des sponsors ». 

En amont également, un travail d’un an avec l’ensemble des candidates de l’expédition : « Nous avons toutes commencé à collaborer ensemble plusieurs mois avant l’expédition, à distance. Nous avons échangé par email, messagerie, visioconférence, etc. afin de tout préparer pour être prêtes le jour J ! ». Le 19 février, ces soixante-dix-huit scientifiques se sont retrouvées à Ushuaïa, avant de naviguer vers l’Antarctique. « C’était très grisant de se voir et de se « rencontrer en vrai » pour la première fois. Nous formions déjà une communauté ».

Oli Sansom - 78 femmes scientifiques réunies en Antarctique pour valoriser le travail des femmes, Homeward Bound
Le groupe au complet – Crédit : Oli Sansom

À bord, une majorité de femmes (seulement trois hommes présents) de 23 à 65 ans et venant de 18 pays différents. « L’expédition est ouverte à toutes les disciplines scientifiques confondues. Dans l’équipe se trouvaient des scientifiques en physique, biologie, neurosciences, ingénierie… dont une lauréate d’un prix Nobel ! Le groupe était pluridisciplinaire. Nous étions toutes égales et chacune amenait  sa vision et ses compétences propres », décrit Gaia.

Pendant trois semaines, les participantes ont suivi un programme de travail intensif. La journée type était partagée en deux temps : une partie formation et une partie à terre. « Le volet formation comprenait un coaching en leadership, communication et stratégie. Il y a également eu tout un travail scientifique : présentation des recherches et projets professionnels de chacune, création de groupes de travail sur des thématiques précises, etc. ». La deuxième moitié de journée était consacrée à la découverte de sites naturels de l’Antarctique. L’équipe a également pu visiter six bases scientifiques travaillant notamment sur le changement climatique, et rencontrer leurs équipes.

Etude des manchots papou – Crédit : Gaia Dell’Ariccia

Au-delà du travail scientifique, l’expédition était également un moyen de se retrouver entre femmes. « Chacune d’entre nous avait son histoire à raconter. Dans les sciences, il est parfois difficile de concilier la vie personnelle et la carrière professionnelle. Une grossesse, par exemple, a un impact sur le nombre de publications d’une scientifique donc un impact sur ses subventions. En majorité, les femmes ont également moins confiance en elles que les hommes. Parler de ces problématiques, toutes ensemble, était très bénéfique en matière de développement personnel et d’assurance ».

Donner de la visibilité aux femmes dans les sciences, les aider à faire évoluer leur carrière professionnelle mais aussi réfléchir à l’égalité hommes/femmes : « Nous nous sommes beaucoup interrogées sur la place des femmes dans les sciences et sur l’égalité entre les sexes. Comment faire accéder les femmes à des postes de management ? Comment lutter contre les préjugés sexistes ? Comment intégrer les hommes dans cette réflexion hommes/femmes ? La formation nous a donné les clés pour contribuer au changement ». 

La vie en communauté, isolées sur un bateau – Crédit : Oli Sansom

Après trois semaines riches en enseignements et en émotions, le bilan de l’aventure s’avère très positif pour Gaia, tant humainement que professionnellement : « Nous avons créé des liens très forts et une belle communauté. C’était très stimulant et passionnant. Nous avons toutes appris beaucoup de choses ». L’équipe pense déjà à la suite : « Nous allons maintenant nous appuyer sur ce réseau pour mener des actions concrètes. Nous voulons, nous aussi, montrer l’exemple et agir comme moteur. Nous avons plusieurs projets en tête. Pour ma part, j’aimerais aller à la rencontre des jeunes et les sensibiliser sur tous ces sujets ». Les aventurières entendent aussi enrichir le programme de formation pour les prochaines expéditions.

La troisième équipe de l’expédition Homeward Bound, déjà sélectionnée, partira en janvier 2019. À terme, le projet vise la création d’un réseau international de 1000 femmes sur 10 ans.