Pionnière dans l’étude de la relation entre le masculin et le féminin, l’ethnologue et anthropologue Françoise Héritier s’est éteinte à l’âge de 84 ans, à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris, dans la nuit du 14 au 15 novembre. Elle avait récemment publié le livre « Au gré des jours » et obtenu le prix spécial Femina pour l’ensemble de son œuvre.
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« Françoise Héritier, que j’aimais tant, nous a quittés cette nuit. Au-delà de ma tristesse, je garderai en mémoire le souvenir d’une femme d’exception : grande intellectuelle, mais sensible, modeste et profonde. Elle était une amie. Elle était et restera un modèle ». Tels sont les mots choisis par son éditrice Odile Jacob pour lui rendre hommage.
Françoise Héritier, que j’aimais tant, nous a quittés cette nuit. Au-delà de ma tristesse, je garderai en mémoire le souvenir d’une femme d’exception : grande intellectuelle, mais sensible, modeste et profonde. Elle était une amie. Elle était et restera un modèle.#Héritier
— Odile Jacob (@EditriceOJacob) 15 novembre 2017
Née en 1933 à Veauche, dans la Loire, Françoise Héritier arrive à Paris en 1946 où, rêvant d’être égyptologue, elle entreprend des études en histoire et en géographie à la Sorbonne. Pendant ses études, elle participe à un séminaire en présence de l’anthropologue et ethnologue Claude Lévi-Strauss, sur la chasse rituelle aux aigles chez les Hidatsas, des Indiens d’Amérique du Nord. « J’avais 20 ans, j’étudiais l’histoire-géographie, et l’enthousiasme [de camarades étudiants en philosophie] était tel qu’il fallait que j’entende, de mes propres oreilles, ce qui se passait dans ce cours de l’Ecole pratique donné à la Sorbonne. Ce fut une révélation », racontait-elle dans un entretien avec le journal Le Monde. Elle prend alors la décision d’orienter sa carrière, et sa vie, vers l’anthropologie sociale.
En 1958, elle part en Haute-Volta, actuel Burkina Faso, étudier les Samos, puis les Dogons au Mali. C’est en Afrique, où elle séjournera pendant cinq ans, qu’elle a posé les fondements de sa propre anthropologie : en poursuivant d’abord le travail de Claude Lévi-Strauss sur les systèmes de parenté, puis en déplaçant progressivement la clé explicative des faits humains (mariage ou inceste) du symbolique vers le biologique et le physiologique.
En 1967, elle rejoint le CNRS où elle devient maître de recherches. Pour ses travaux sur le fonctionnement des systèmes de parenté et d’alliance, elle reçoit la médaille d’argent du CNRS en 1978. Pour elle, la parenté n’est qu’une « construction idéologique » car « rien de ce que nous faisons ou pensons, systèmes de vie, d’attitude et de comportement, n’est issu directement de lois naturelles ». En 1980, elle est nommée directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, et, l’année suivante, publie l’un de ses premiers livres, L’Exercice de la parenté (Gallimard).
C’est en 1982 que Françoise Héritier succède à son « maître » Claude Lévi-Strauss au Collège de France, inaugurant la chaire d’étude comparée des sociétés africaines. Elle prend également la tête du Laboratoire d’anthropologie sociale où elle enseigne jusqu’en 1998. De 1989 à 1994, elle occupe la présidence du Conseil national du sida, où elle lutte contre l’ostracisme qui frappe les séropositifs dans les prisons et obtint le rattachement de la médecine pénitentiaire au ministère de la santé.
Masculin/féminin
Grande figure du féminisme, Françoise Héritier a porté majoritairement ses recherches sur la construction de la hiérarchie entre le masculin et le féminin. Partout et à chaque époque, fut affirmée selon elle la suprématie du masculin. Dans son ouvrage Masculin/Féminin, elle s’est retrouvée face à un constat désabusé : « Je doute qu’on arrive jamais à une égalité idyllique », admettant que la réappropriation de leur corps avait constitué pour les femmes « une révolution essentielle ». Elle s’est aussi penchée sur les différences des sexes et sur notre système de pensée, qui repose sur le principe de la domination masculine. Elle a tenté par ses réflexions de déconstruire la hiérarchie entre le masculin et le féminin.
Plus récemment, face à l’affaire Harvey Weinstein, elle avait pris le parti des femmes et encourageait le mouvement : « Je trouve ça formidable. Que la honte change de camp est essentiel. Et que les femmes, au lieu de se terrer en victimes solitaires et désemparées, utilisent le #metoo d’Internet pour se signaler et prendre la parole me semble prometteur. C’est ce qui nous a manqué depuis des millénaires : comprendre que nous n’étions pas toutes seules ! Les conséquences de ce mouvement peuvent être énormes ».
Handicapée depuis des années par une maladie auto-immune, elle a été contrainte à suivre un traitement à la cortisone une bonne partie de sa vie . Pour Catherine Clément, philosophe, romancière et essayiste, « la pensée de Françoise sans sa maladie, sans ces menaces d’AVC, ce ne serait pas la même chose ».
Catherine Clément : « 30 ou 40 ans sous cortisone, ça veut dire trois AVC par an » pic.twitter.com/Iv8lpycWED
— France Inter (@franceinter) 16 novembre 2017
Son dernier livre Au gré des jours avait été publié le 18 octobre dernier, ouvrage dans lequel « elle se confie et nous fait partager son amour des mots et son goût de vivre ». Le jury du prix Femina lui avait remis la semaine dernière un prix spécial pour l’ensemble de son oeuvre.